Tribune de CoSE publiée dans Le Figaro le 1er décembre 2023.
Dans un entretien au Parisien, le 13 novembre, le ministre de l’Éducation nationale, appelle à un «sursaut collectif» . Devant les résultats décevants en CP et en 4e, il se dit inquiet « des résultats et des remontées du terrain » et souligne la responsabilité des écrans dans les troubles du sommeil comme de l’attention rapportés par les enseignants.
Depuis 2017 nous membres du Collectif surexposition écrans, avons lancé l’alerte et créé ce terme de surexposition aux écrans pour rendre compte d’un constat de terrain. Avec les associations partenaires regroupées au sein du Collectif attention, nous avons dénoncé la manipulation de notre attention, en particulier celle des plus jeunes, par les différentes plateformes dans une visée commerciale et émis des propositions à l’intention des décideurs, notamment une politique de prévention à la hauteur des enjeux et un moratoire sur la numérisation de l’école.
Le Collectif surexposition écrans a interpellé les différents décideurs : Santé Publique France (2017), le cabinet du président (2017), le ministère de la Santé (2018, 2021), le Secrétariat d’État chargé de l’Enfance (2023) et tout récemment le porte-parole du gouvernement (2023). Le résultat ? insuffisant et décevant : mention «éviter les écrans avant 3 ans» dans le carnet de santé, quelques recommandations de bonne utilisation des écrans via des plateformes… Mais seuls 10 % des parents respectent ces recommandations, car les messages de prévention ne sont ni clairs, ni suffisamment diffusés. Aux parents, il faut répéter que l’écran n’apprend rien au tout petit et que seul un adulte disponible permet de faire progresser un enfant. Les temps d’écrans des enfants et des parents ont décollé avec le Covid, aggravant la technoférence, retardant le langage, altérant le sommeil. Comment imaginer alors que nos enfants, fatigués et handicapés par leur niveau de langage, auraient un bon niveau de lecture et de bons résultats scolaires ?
Et les enfants grandissent ! Ces écrans, extrêmement addictifs, que les parents ont tant de difficultés à réguler, l’Éducation Nationale en fait l’ardente promotion, aggravant considérablement les problèmes de sommeil et d’attention des élèves. En effet, le grand mouvement de numérisation de l’Éducation nationale ne s’est guère arrêté avec la fin de la Covid. Espace numérique de travail (ENT), tableau numérique interactif qui remplace le tableau classique, devoirs sur internet, Mooc, groupe de classe sur WhatsApp... l’Éducation nationale a dit oui à toutes les propositions des EdTech, entreprises qui vendent des technologies numériques aux institutions scolaires sans aucune évaluation ni étude préalable. Réseaux d’aides spécialisés aux élèves en difficulté débordés, centres médico–psychologiques surchargés, orthophonistes indisponibles, services de pédopsychiatrie en détresse, multiplication des dossiers de handicaps: voilà le résultat bien concret d’enfants certes surexposés dans les familles mais dont l’état s’aggrave lorsqu’on prétend les éduquer en les mettant dès la maternelle devant un écran.
La Suède a pris conscience de l’énorme dégât que produit une éducation tout numérique et revient à des manuels scolaires. Mais nous, quand remettrons-nous l’élève au centre de nos préoccupations ? Quand la France va-t-elle légiférer ?
En maternelle, en élémentaire, au collège: la transmission des savoirs ne s’opère jamais aussi bien que lorsqu’elle est incarnée par un professeur. Plus tard, à partir du lycée, lorsque les capacités de libre arbitre se constituent, l’introduction du numérique peut sans doute revêtir un intérêt, à condition qu’il soit encadré et que ses bienfaits soient évalués.
Nos propositions de bon sens, devoirs à noter sur un agenda papier, pas de recours à internet pour «faire» ses devoirs avant le lycée, maintien des manuels scolaires papier, sont soutenues par les parents, les enfants et les adolescents lorsqu’on prend la peine de les interroger à ce sujet. Mais ces propositions sont contraires à la démarche du ministre de l’Éducation nationale. Sur le site du ministère, on nous annonce en effet le 16 novembre dernier le déplacement de Gabriel Attal et de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du numérique au salon Edtech. Celui-ci a été «organisé en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse». Il est écrit qu’à «l’occasion de ce déplacement […] les ministres présenteront leur vision du numérique pour l’éducation [..] avant de rencontrer des porteurs de projets soutenus par France 2030 […] dans le cadre […] du partenariat d’innovation intelligence artificielle (P2iA). Ces entreprises […] mettent le numérique au service de l’apprentissage des savoirs fondamentaux.»
Voilà : les familles ont besoin de cohérence entre la prévention concernant le développement des enfants et la non-invasion des écrans dans les écoles et les collèges. Le «sursaut collectif» de Gabriel Attal ne deviendra réalité que si chacun de nos décideurs, y compris au sein de l’exécutif, aligne ses actions sur ses déclarations.
Signataires :
Les membres du Collectif surexposition écrans (avec le soutien des associations du Collectif attention):
Lise Barthélemy, pédopsychiatre
Marie Claude Bossière, pédopsychiatre
Enora de Gouvello, psychologue en protection de l’enfance Sylvie Dieu Osika, pédiatre
Anne Lise Ducanda, médecin de PMI
Sabine Duflo, psychologue clinicienne en CMP
Éric Osika, pédiatre
Catherine Vidal, psychologue de l’Éducation nationale